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 “NOUS SOMMES SUR NOS GARDES”

 Le directeur général de l’Institut Pasteur d’Algérie, le Dr Fawzi Derrar, explique comment est menée la nouvelle bataille contre la progression des contaminations par le variant  britannique et autres. Depuis l’annonce de la découverte de la première souche mutante du coronavirus, les séquenceurs de l’IPA n’ont cessé de scanner les prélèvements PCR positifs éligibles.

Liberté : Pourquoi la découverte de quelques nouveaux cas variants du Covid-19 a-t-elle mis tous les séquenceurs de l’Institut Pasteur en alerte ?
Fawzi Derrar : Il important de rappeler aujourd’hui que l’Institut Pasteur d’Algérie a mis en place une stratégie qui consiste à surveiller le virus qui circule après l’avoir diagnostiqué dans une PCR positive. La recherche enclenchée permettra de savoir s’il s’agit d’une souche qui est toujours restée stable ou qui a muté. À leurs découvertes en septembre 2020, ces mutants n’avaient pas encore d’incidence sur l’épidémie.

Les problèmes des variants n’ont commencé à surgir qu’à partir de décembre dernier où une recrudescence des contaminations a été enregistrée, notamment en Europe. La surveillance de ces variants a été ainsi recommandée et exigée par l’OMS, en mettant en branle les séquenceurs qui permettent de scanner les souches mutantes des prélèvements. On a ainsi lancé à l’Institut Pasteur les activités de séquençage, à l’instar de beaucoup de pays, pour surveiller une éventuelle variation du virus.

Nous avons alors décrit des mutations, mais qui n’ont pas eu d’effet sur le virus.Il faut savoir à ce propos que ce ne sont pas toutes les mutations qui ont un effet sur le virus. Des études dans le monde ont montré qu’il y a eu quelques mutations, mais sans signification, et d’autres, en revanche, ont eu un effet direct. Il s’agit en fait de mutations qui ont touché une protéine. Celle-ci est, par conséquent, responsable de la liaison entre les cellules respiratoires de l’homme et certaines régions du virus qui sont responsables de la réponse immunitaire. 

À  quel  moment  l’IPA  a-t-il  lancé  les  activités  de  séquençage  pour détecter d’éventuelles souches mutantes ?  
Nous avons mis en place pour cela des protocoles. D’ailleurs, c’est au cours de ces activités de recherche que nous avons détecté deux premiers cas de variant britannique la semaine passée et six autres aujourd’hui (avant-hier jeudi, ndlr).

Ces mutations sont spécifiques à ce variant anglais.Sans tarder, nous avons déposé ces séquences de souches mutantes à la base de données de l’OMS. Nous sommes toujours sur nos gardes, en surveillant les cas qui pourraient éventuellement survenir. Nous avons également testé les sujets contacts des deux premiers cas et nous continuons à faire des tests d’autres prélèvements que nous pensons pouvant être des mutants. 

La liste des cas suspects de variants ne risque-t-elle pas de s’allonger dans les prochains jours ?
Nous  sommes  en  train  de  poursuivre  l’activité  de  séquençage  sur  des contaminations confirmées à la  Covid-19 u n peu  partout dans  le  pays.  La finalité de cette recherche est de  vérifier une présence de variants en dehors de la wilaya d’Alger ou dans d’autres wilayas. Tous les résultats obtenus nous permettent, par conséquent, d’avoir une photographie  circonstanciée  de ce variant.

Ces mêmes résultats nous  renseigneront  également  sur  une  probable propagation du mutant dans d’autres régions du pays. Aujourd’hui, des dizaines de cas suspects sont soumis au séquençage pour observer si ces prélèvements contiennent des variants
ou pas. 

Toutes les PCR positives passeront-elles au crible du séquenceur ?
Non, pas du tout. Il faut savoir à ce propos que nous avons mis en place une stratégie qui définit les prélèvements positifs éligibles au traitement par le séquenceur. Le test PCR est, par définition, une réaction très lourde. Des stratégies de séquençage ont été mises en place partout dans le monde.

Néanmoins,  il  y  a  des  pays  où  on  recommande  à  titre  d’illustration de séquencer  uniquement  1%  des  PCR  positives, alors  que  d’autres  pays cherchent à faire le séquençage de toutes les PCR positives. En fait, ce type de recherche pointue dépend des capacités à le faire et du niveau de formation acquise.

L’activité de séquençage fait appel à des formations très spécifiques. Puisqu’il ne s’agit pas de faire une simple lecture de séquence d’un agent viral à l’instar de la Covid-19. Cette mission doit donc être dévolue à un centre de référence qui a la capacité et l’expérience requises pour entreprendre ce genre d’interprétation des variants.

Depuis le début de l’apparition de cette souche  mutante dans le monde, nous avons testé une dizaine de PCR positives, et  nous  sommes toujours en train d’en tester des dizaines d’autres. Nous avons commencé le séquençage des PCR+ au mois de janvier. Les prélèvements séquencés étaient négatifs. Nous avons fait la même chose début février et les prélèvements séquencés se sont avérés négatifs. Nous avons par la suite détecté fin février deux cas positifs et six autres aujourd’hui jeudi.

Le nombre de séquençages est-il décidé au prorata du nombre de PCR positives confirmées ? 
Nous avons capté les prélèvements suspects sur des PCR positives. La technique PCR représente par définition un filtre, un moyen de cribler pour arriver à séquencer laquelle des tests PCR positives pose problème.

À l’IPA, on séquence les PCR qui ont des protéines S, des mutations sur des protéines S et aussi celles qui ont une charge virale élevée. C’est-à-dire celles qui transmettent le virus d’une façon élevée, puisqu’il est important de savoir ce qu’ils transmettent, c’est un des critères pour séquencer ces virus-là. 

On comprend bien que ce ne sont pas tous les positifs qui feront l’objet de séquençage. La raison est-elle liée au problème de moyens ?  
L’activité de séquençage est une activité très lourde. Ce ne doit pas être une activité généralisée. Elle doit être l’apanage de 1 ou 3 laboratoires qui sont suffisamment formés en la matière.Cette mission nécessite quand même une maîtrise et un partage d’expérience. Et elle doit être menée dans un environnement qui est capable d’accompagner la recherche si jamais il y a un problème.

Nous disposons actuellement à l’IPA de deux séquenceurs, et nous sommes en attente d’un troisième. Notre objectif est d’avoir 4 séquenceurs qui vont nous permettre d’avoir une très bonne capacité de traitement pour répondre à la demande. 

Plusieurs variants circulent  dans   le monde. Quel est celui qui pose le plus de problèmes en  termes  de  contagiosité  et  de  résistance aux vaccins utilisés ?
La première mutation est apparue en Angleterre.  On  l’appelle  le  variant britannique, même si l’OMS n’a pas retenu au final cette nomenclature de dénominations, et ce, pour ne  pas  stigmatiser  les  pays  ou  les  régions géographiques qui ont signalé des cas de variants. L’OMS a proposé alors l’appellation de “variant préoccupant”.

Ce variant britannique commençait à évoluer et à se diffuser pour atteindre en décembre dernier un pic de contaminations en Europe. Nous avons découvert aussi au mois de novembre un virus qui a muté avec des changements qui ne sont pas similaires à ceux retrouvés chez le variant britannique ou chez celui  d’Afrique du Sud. Parallèlement, une autre mutation a été signalée en Amazonie au Brésil.

Ces mutations détectées au Brésil ne ressemblaient  pas aux changements contenus dans  le  variant  britannique  ou  sud-africain.  Le  même  variant brésilien  a  produit  deux  autres  mutations.    La  première  est  restée en Amazonie. La seconde a été détectée à Tokyo.

En réalité, c’est la souche brésilienne qui a voyagé jusqu’au Japon.  Il faut retenir que jusqu’à présent, ce sont au total quatre variants qui  sont  sous étroite  surveillance  à  l’échelle  planétaire.   Ces  souches  mutantes  ne ressemblent pas au virus classique. Ces souches ont fini par avoir un impact sur la dynamique de l’épidémie dans les régions où elles ont été découvertes. 

À défaut de ne pouvoir freiner la propagation de ces nouveaux variants, ces derniers ne vont-ils pas impacter la pandémie de coronavirus ? 
Je citerai à ce propos le cas du variant anglais qui s’apparente à un virus qui va plus vite, soit 50% de plus en termes de contagiosité que le virus classique. Le même constat est plausible pour le mutant sud-africain.Les villes de la côte sud-africaine ont été, en l’espace de quelques semaines, totalement atteintes par ce nouveau variant.

Alors que du côté du Brésil, le variant mutant est en train de diminuer, c’est-à-dire de perdre de sa vitesse. Il y a lieu aussi de signaler la description de certains variants qui sont en train d’apparaître aux USA, notamment le mutant californien. On attend plus de données pour se prononcer si le changement responsable de l’apparition du variant a un impact sur l’épidémie.   

La gestion et la vulgarisation de telles informations par l’IPA devra contribuer à mettre en place une stratégie de lutte pour éviter les scénarios catastrophiques qui font l’actualité sanitaire dans d’autres pays... 
En effet, il va donc falloir rester très vigilant pour essayer d’éviter ce qui se passe à présent dans beaucoup d’autres pays. L’objectif assigné derrière la diffusion de l’information faisant état de la détection de deux variants britanniques la semaine passée et les six autres confirmés aujourd’hui (avant-hier jeudi, ndlr), c’est d’alerter et dire attention l’épidémie n’est pas terminée, vu qu’on a des souches Covid qui apparaissent.

Ces dernières peuvent, par conséquent, être responsables d’épidémie. Il est impératif  de  revenir  rapidement  aux  mesures de  protocoles  sanitaires de base,  soit  le  port  du  masque, la  distanciation  sociale  et  l’usage  du  gel hydroalcoolique.

Plus  on  respecte  scrupuleusement  les  préceptes  dictés  par  le  protocole sanitaire, plus on évitera l’épidémie. Et par voie de conséquence, on élude la pression et  les  afflux  de  malades  dans  les  hôpitaux  et  les  services  de réanimation. La situation épidémiologique actuelle constitue une opportunité inouïe pour anticiper et endiguer  l’évolution  des  variants.  On  est  en  train d’anticiper par la prévention.

 

Entretien réalisé par : HANAFI HATTOU